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Spectacles

Marc Brew et Sidi Larbi Cherkaoui ont répondu à nos questions !

April 25, 2024

A l’occasion de leur venue au Théâtre Les Halles dans le cadre de STEPS Festival. Marc Brew et Sidi Larbi Cherkaoui ont répondu à nos questions ! Profitez donc de leurs interview pour en savoir plus sur eux et leur pièce !  

SIDI LARBI CHERKAOUI

1.    Sidi Larbi Cherkaoui, des moines Shaolins à Beyoncé, en passant par Marc Brew, vous travaillez avec des personnes très différentes les unes des autres, qu'apporte cette diversité à votre travail chorégraphique ?

 

Chacune de ces personnes sont des gens dans lesquels je me reconnais. Pour moi ce sont des êtres humains avec lesquels je sens une forte affinité ! J’ai une envie de connexion avec eux. Je ne me concentre pas tellement sur les différences entre nous mais plutôt sur les valeurs que nous partageons et que nous voulons défendre.

 

Avec les moines Shaolins, il y a une philosophie Bouddhiste et un engagement du corps très entiers, ainsi qu’un compréhension de la force de la nature ; ils sont végétariens et moi je suis végan. Ce sont ces éléments-là qui me touchent chez eux. Il y a une sorte de partage de valeurs.

 

La même chose avec Beyoncé qui est une femme très engagée. La première fois que nous avons travaillé ensemble, c’était pour un concert caritatif qui donnait de l’argent à des personnes victimes de violences policières en Amérique. Il y a donc bien une envie de partager des valeurs.

 

Idem avec Marc Brew, où nous sommes sur des thèmes très spécifiques de l’accessibilité du monde aux personnes en situation de handicap.

 

Finalement c’est surtout ça qui me fait travailler avec eux ; le partage de valeurs communes.

 

Mais concernant ma manière de chorégraphier, je pense que je travaille de la même manière avec tout le monde.

 

2.    An accident / A life aborde des thèmes personnels de la vie de Marc Brew, qu’avez-vous apporté de votre expérience pour co-créer cette œuvre ?

 

Je pense que Marc Brew ne voyait pas vraiment son accident, son histoire, comme ayant une grande valeur artistique. C’était un moment très précis mais il ne le voyait pas comme quelque chose d’épique. Je pense que mon regard a simplement été là pour partager le potentiel artistique de ce qui nous arrive dans la vie, qui pourrait devenir quelque chose de touchant pour des publics.

Il s’agissait vraiment d’entrer dans un moment très intense et particulier et de l’explorer ensemble. Je pense que j’ai simplement partagé avec lui le fait que ce qu’il disait quand il racontait son histoire avait de la valeur, que c’était important, que ce n’était pas un moment à mettre de côté mais un moment à partager, justement.

 

Il y a unetelle conscience chez lui. Lorsqu’il parle de sa vie, il a autant une mémoire précise pour certains instants que des moments de flou qui sont très reconnaissables pour moi, notamment quand je les mets en lien avec des évènements qui me sont arrivés quand j’étais jeune.

Je sentais alors une vraie affinité avec ces choses et j’avais envie de lui donner un point de vue particulier.

 

Je lui proposais donc de contextualiser ce qui lui était arrivé mais dans un nouvel espace, comme ceci : « Ici il faudrait que tu racontes ton histoire plutôt comme situ étais dans une thérapie, là plutôt comme si tu étais dans ton bain, là c’est plutôt comme si tu étais dans le moment même ».

 

3.    Marc Brew ajoute une perspective unique en tant que danseur et chorégraphe en situation de handicap. Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre son style de danse spécifique et votre manière de chorégraphier ?

 

On a simplement travaillé ensemble. Il est lui-même chorégraphe alors il a une capacité immense à comprendre les nuances proposées. Et donc on travaillait avec un rapport de danseur /chorégraphe, mais étant donné que lui-même est chorégraphe, ça devenait très facile pour moi. Il y avait une fluidité évidente dans notre travail.

J’y ai peut-être apporté mes connaissances et ma conscience du corps, j’ai mis en avant le fait qu’il y a d’autres manières de faire bouger des parties du corps ; même quand on n’est pas en mesure de plier notre genou, il y d’autres manières de le faire plier. Ce sont des choses que j’applique également avec d’autres danseuses et danseurs.

 

On était vraiment dans un rapport simple de danseur / chorégraphe et la spécificité de son handicap n’est finalement pas si différente de la réalité d’autres danseuses et danseurs. En fait, tous les danseuses et danseurs ont des possibilités et des limites. Pour moi, il n’y adonc pas vraiment de différence dans la manière de fonctionner et de travailler.

 

D’ailleurs pour moi, Marc était l’un de mes meilleurs danseurs parce qu’il était tellement à l’écoute de chaque proposition, de chaque détail, de chaque prise de conscience et il était lui-même force de proposition, il était donc aussi fédérateur de très belles idées. C’était un vrai plaisir de travailler avec lui. Nous sommes aussi devenus amis. Il m’est très cher.

 

Et je trouvais justement que, souvent, on essaie de faire que les choses soient différentes, mais moi j’ai envie de dire que ce n’est pas si différent que ça. Le corps bouge, et la manière dont on a travaillé avec les bras, c’est la même manière que je travaille avec d’autres danseuses et danseurs et les jambes nous les avons travaillées d’une certaine manière que j’avais déjà exploré avec d’autres danseuses et danseurs aussi.

 

En fait, même quand je travaille avec une danseuse classique du plus haut niveau, il y aura des choses qu’elle saura faire et des choses qu’elle ne saura pas faire, c’est normal. Quand je travaille avec les moines Shaolins c’est pareil, il y a des choses qu’ils font et d’autres qu’ils n’arrivent pas à faire. Il y a toujours une exploration commune du cadre dans lequel on peut dessiner, colorier, et après on commence à travailler sur nos valeurs et sur les choses qu’on a envie de raconter.

 

Dans ce sens-là, c’est pour ça que j’insiste que c’est quand même assez similaire et d’ailleurs c’était plus facile avec Marc qu’avec beaucoup de gens, parce qu’il a justement une expérience de chorégraphe aussi.  

 

4.    An accident / A life aborde les thèmes de la résilience et de la transformation personnelle. Selon vous, qu’ajoute le mouvement dans l’interprétation de ces thèmes ?

 

Le mouvement, pour moi, c’est la vie. Il n’y a pas d’autre façon d’avancer qu’en bougeant. Et quand on bouge, on danse. Pour moi tout le monde danse tout le temps, tout le monde est en mouvement tout le temps. Et même quand on est immobile, il y a plein de choses qui se passent dans le corps : Quand je parle j’utilise ma mâchoire, mes lèvres… Je fais toute une chorégraphie de la bouche et de la respiration, c’est toute une danse à l’intérieur de mon corps pour faire en sorte que l’on m’entende.

Donc je ne vois pas la danse comme autre chose que quelque chose qui est tous les jours présent dans la vie. Par exemple, quand Marc pousse la roue de sa chaise roulante pour avancer, ce sont des formes de mécanique de mouvement qui se rapportent à la danse. Pour moi tout ça c’est un seul univers, je ne distingue pas vraiment la danse du reste. La danse est donc présente quand on chante, quand on parle, quand on pousse quelque chose… Il y a toujours un travail d’utilisation de son poids de manière différente pour créer des perspectives avec son corps. Tout ça, c’est ce que je fais avec Marc ou avec n’importe qui avec qui je travaille.

 

5.    Qu’aimeriez-vous transmettre aux publics avec An accident / A life ? Avez-vous des consignes à leur donner avant qu’ils n’entrent dans la salle ?

Je n’ai pas vraiment de consigne à donner. Le spectacle parle de lui-même.

Peut-être simplement demander aux publics de garder une ouverture d’esprit sur la langue. Comme Marc Brew est Australien, il parle anglais. Bien sûr, nous avons prévu des sous-titres pourque tout le monde comprenne bien.

MARC BREW

 

 

1.           Marc Brew, vous collaborez avec Sidi Larbi Cherkaoui pour présenter An accident / A life . Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?

 

C'est en fait une très belle histoire. J’ai toujours admiré Larbi en tant que chorégraphe et créateur de danse. J'avais l'habitude d'aller voir son travail et ses collaborations avec d'autres artistes comme Akram Khan et d'autres. J'ai donc toujours eu à l'esprit que j'aimerais un jour travailler avec lui, car j'ai toujours eu le sentiment qu'il était très bon conteur, capable de raconter des histoires par la danse et le mouvement, de manière théâtrale.

J’ai commencé à travailler avec le Hessisches Staatsballet, dont le directeur s'appelait Bruno Heyndericks, et c’est lui qui m’a demandé quel était mon plus grand rêve. J’ai alors répondu que je rêvais de collaborer avec Sidi Larbi Cherkaoui. Mais nous n'avons jamais été en mesure de le contacter ou d'atteindre son équipe.

 

Finalement Larbi a pu voir mon travail, il était très intéressé et fasciné et voulait me rencontrer. Nous avons donc organisé une conversation téléphonique, puis nous avons discuté par Zoom et nous nous sommes vraiment bien entendus ! C'était incroyable, vous savez, parfois vous rencontrez des gens et vous pouvez parler pendant des heures. C'est ce qui s'est passé ! Nous parlions de nos vies, de nos similitudes, de nos parcours en tant que chorégraphes, en tant que personnes, en tant qu'êtres humains. Nous parlions aussi de notre enfance, de notre homosexualité et de toutes ces choses qui font partie de notre passé et de notre histoire, Et à partir de là (car cela s'est passé pendant la période de COVID, donc en 2020-21), nous avons commencé à faire des réunions Zoom où j'étais dans mon salon et Larbi me donnait des tâches à explorer et je les faisais sur le sol, sur le canapé, pour explorer les mouvements que nous pouvions faire et la façon dont nous pouvions apprendre à connaître mon corps. Il m'a également confié la tâche de raconter mon histoire sur l'accident devoiture qui a engendré mon handicap. Et je ne le savais pas à ce moment-là,mais il l'enregistrait sur son téléphone ! Il m'a ensuite dit : "Ok, maintenant essaie d'apprendre ça et de le dire comme tu viens de le dire,  avec tes manières, ton accent».  Et j'étais fasciné, je n'avais jamais fait ça avant. C'était un véritable défi pour moi !

 

À partir de là, nous avons effectué une résidence de deux semaines avec le soutien du Hessisches Staatsballet. Nous avons donc passé une semaine à Darmstadt, en Allemagne, puis une semaine à Francfort. C'est la première fois que nous nous sommes réunis, et je crois que c'était en décembre 2021.

 

2.           Voyez-vous des inspirations ou des influences communes entre vous et Sidi Larbi Cherkaoui?

 

Oui, tout à fait !  Nous avons donc beaucoup parlé de nos trajectoires et de nos parcours en tant que jeunes, en tant que danseurs, en tant qu'hommes ayant révélé leur homosexualité, ainsi que de nos parents. Et il y avait beaucoup de similitudes entre nous. Nous avons tous les deux de bonnes relations et sommes très proches de nos mères, ce qui est une chose forte qui est ressortie. Evidemment, nous avons aussi parlé de comment les gens vous perçoivent et vous jugent et comment cela change au cours de votre vie. Larbi m’a parlé de son héritage et de ses origines, et moi de mon accident et de mon handicap.

Larbi est également très fasciné par le corps et par la façon dont mon corps fonctionne maintenant qu'il est paralysé. Nous avons donc beaucoup échangé sur le fonctionnement du corps et sur la façon dont tout, dans le corps, est interconnecté. Il a aussi subi des interventions chirurgicales et des opérations ; il a vécu des expériences similaires, évidemment pas un accident de voiture, mais... des choses auxquelles nous pouvions nous référer dans nos vies. Beaucoup d’éléments de nos parcours personnels se sont entremêlés et nous ont aidés à créer cette pièce.

 

2.           Si oui, ont-ils été intégrés dans le spectacle ?

 

Je pense que oui ! Nous avons commencé en 2021 et nous savions qu'à ce moment-là, l'accent serait mis sur l'Accident, mon histoire et la vie après l'Accident. Mais à l'origine, nous pensions que nous serions tous les deux sur scène et nous présenterions nos deux histoires qui se fondraient l'une dans l'autre. Mais ce qui s'est passé, c'est que Larbi pensait, et je le comprends maintenant, que mon histoire était suffisamment forte en elle-même et que s'il interférait avec son histoire dans la mienne, cela risquait de diluer le pouvoir de l'histoire. C'est pourquoi nous avons décidé de nous concentrer davantage sur le crash et l'accident de ma vie.

Mais toutes ces expériences, toutes ces conversations et nos liens sont intégrés dans le travail parce que nous avons dû apprendre à nous connaître, à nous faire confiance, à construire ensemble cette relation de collaboration.

Ainsi, son intérêt pour le corps, sa compréhension de mon histoire et son aide pour en explorer tout le potentiel, se retrouvent dans ce qui est certainement le travail le plus difficile et le plus important que j'ai réalisé jusqu'à aujourd'hui, et ce grâce à sa vision qui m'a aidé à réaliser jusqu’où je pouvais aller.

3.          Y a-t-il eu un moment dans le processus de création de AN ACCIDENT / A LIFE qui vous a particulièrement marqué ?

 

Oh oui, beaucoup ! Chaque jour avec Larbi est différent ! Vous savez, quand vous arrivez à un point où vous vous dites : "oh ouais, c'est en train de se développer dans ce sens-là", puis il revient et tout change du tout au tout…

Mais dès le premier jour de notre résidence, nous avions une voiture. Cela a définitivement planté le décor. Nous avons donc vraiment exploré la manière dont nous utilisions la voiture, comment je me déplaçais autour et à à l’intérieur de celle-ci et comment je commençais à imbriquer mon histoire dans la narration. Car il y a beaucoup de paroles dans la pièce, j'ai donc dû apprendre à raconter mon histoire exactement de la même manière à chaque fois !Parce que, certes, j'avais l'habitude de la raconter, mais à chaque fois je la rendais un peu différente.  

En fait, Larbi a retranscrit mon histoire à partir de tous nos interviews et l’a scénarisée pour que je l’apprenne. Ensuite, je l'ai mise dans la voiture avec le mouvement, les gestes et le texte, c'était en quelque sorte le début et c'est ainsi que le processus s'est poursuivi pour chaque scène. Il y a plusieurs scènes dans l'œuvre, ce qui en fait un véritable voyage, c’est fascinant! D’ailleurs, la pièce ne commence pas avant l'accident. Elle commence vraiment Boom ! L'accident ! Et se poursuit ensuite avec les autres scènes.

Eh bien oui, le processus de création a été formidable !

 

4.           Dans AN ACCIDENT / A LIFE, comment le mouvement reflète-t-il votre expérience personnelle ?

 

Comme je l'ai dit, Larbi est vraiment fasciné par le corps et, je veux dire, nous avons beaucoup exploré le fait que je bougeais et que Larbi me dirigeait en quelque sorte dans le mouvement. Ainsi, il a pu apprendre comment les os, les muscles et tout le reste s'alignent dans mon corps.

Et puis Larbi étant Larbi, il essayait toujours d'aller plus loin et de me mettre au défi en me disant : " Oh, tu pourrais essayer ça ? Est-ce que ta jambe pourrait s'enrouler autour de ta tête et pendant qu'elle le fait, est-ce que ta tête pourrait aller sur le genou de l'autre jambe ?" (rires). Je me suis dit : "Oh... je ne sais pas, je n'ai jamais fait ça avant, mais essayons!".

C'est ainsi que j'ai commencé à explorer mes mouvements. Il était vraiment fasciné par la façon dont mon corps bougeait, mais il voulait toujours pousser pour voir jusqu'où je pouvais aller. Tout s'est déroulé dans un environnement sûr, mais il aime aller dans des endroits inconfortables, et j'aime vraiment cela aussi.

Pour moi, certaines des choses que je fais dans cette pièce sont des choses que je n'ai jamais faites auparavant, et j'ai eu une longue carrière de 26 ans. C'était donc vraiment rafraîchissant de sentir que j'avais encore de nouvelles choses à offrir !

5.           Comment avez-vous surmonté les difficultés liées à votre perte partielle de mobilité pour poursuivre votre carrière de danseur ? Quelle(s) force(s) vous a (ont)motivé(s) à reprendre votre profession après cet accident ?

 

Vous savez, quand je regarde en arrière, j'étais un danseur de ballet formé, je dansais avec une compagnie de ballet, je travaillais avec une compagnie de ballet en Afrique du Sud, quand l'accident s'est produit. Pour un danseur, être paralysé et s'entendre dire qu'on ne marchera plus jamais, je pense que c'est le pire des cauchemars qui se réalise. Alors quand on m'a dit que je ne remarcherai plus jamais, je n'arrivais pas à y croire. Je me souviens avoir pensé : "Comment cela peut-il m'arriver ? Je suis Marc Brew, je suis danseur, je me suis entraîné toute ma vie pour faire ça et maintenant on me dit que je ne peux plus ?". En revanche, j'ai toujours été très déterminé et très têtu. Comme l'accident s'est produit en Afrique du Sud, je me suis dit: "Eh bien, il suffit de me ramener en Australie (car c'est de là que je suis originaire) et je me rétablirai, je remarcherai". Et je sais, j'étais naïf, j'avais vingt ans, j'avais l'habitude de me blesser en dansant…Je me suis dit que j'allais faire de la rééducation et que j'irais mieux.

Mais ensuite je suis retourné en Australie, j’ai fait de la rééducation et les choses se sont améliorées : j'ai retrouvé la fonction de mes mains, car au début je n'en avais aucune, puis j'ai retrouvé des forces dans mes bras, mais c'est à partir de la poitrine que la paralysie s'est maintenue. J'ai travaillé dur et je suis devenu plus fort. Puis j'ai réalisé que je n'allais peut-être vraiment plus jamais remarcher.

D’un autre côté, quand j'ai commencé à faire de la rééducation, j'avais encore l'impression d'être un danseur, d'être toujours moi ! Beaucoup de mes amis danseurs venaient me rendre visite. Je savais qu’au fond, je voulais toujours danser. Même si les gens me disaient : "Tu dois retourner à l'université, tu dois te recycler pour devenir quelqu'un d'autre", ce que j'ai réalisé à ce moment-là, c'est que la danse, l'essence de la danse, ce n'est pas seulement avoir de beaux pieds, de merveilleux tours et de grandes extensions. Oui, tout cela vous aide pour bien danser, mais qu'est-ce que la danse signifie réellement ? Que signifiait la danse pour moi ?

Pour moi, la danse, c'est la capacité de s'exprimer avec son corps, par le mouvement. Et ça, j'en suis toujours capable ! Mais c'était différent de ce à quoi j'étais habitué, de ce à quoi je m'étais entraînée. J'ai eu du mal à changer cette perception dans mon esprit ; en fait je peux toujours danser, mais différemment.  

Celam'a amené à me demander comment je pouvais utiliser mon corps et mon handicap pour bouger d'une manière nouvelle et intéressante. J'ai aussi beaucoup influencé ma chorégraphie parce que j'ai toujours été une chorégraphe dans ma carrière. Je n'aime pas qu'on me dise non, j'aime voir quel est le problème et j'aime explorer des solutions. C'est ce qui a influencé mon mode de vie et mon processus créatif en matière de danse.

Après coup, ce qui m'a aussi permis de continuer, c'est que j'ai perdu trois amis dans l'accident de voiture de ce jour-là. Je savais donc que je devais vivre ma vie pour eux, en tirer le meilleur parti et ne pas la considérer comme acquise. Je me suis dit que j'avais des millions et des millions de raisons d'abandonner, de m'enfouir la tête dans le sable et d'ignorer tout, mais en fait, je voulais continuer à avancer et j'avais besoin de le faire, et pas seulement pour moi. Certains diront qu'il s'agit de compétences de survie, mais je savais que ma vie avait un sens et que je devais me prouver à moi-même et à tous que je pouvais poursuivre ma carrière de danseuse. C'était juste une partie différente de ce à quoi je m'attendais.

 

6.           Dans Un accident / Une vie, y a-t-il une volonté de lutter pour la visibilité des personnes handicapées ?

Oui, sans aucun doute ! Vous savez, je me suis rendu compte d'une chose lorsque j'ai commencé à être handicapé : je ne m'identifiais pas comme tel. J'étais toujours moi, j'étais Marc. Je n'avais pas été exposé à beaucoup de personnes handicapées. Dans le monde de la danse traditionnelle, on ne voit pas beaucoup de personnes handicapées sur scène, dans les cours...

Ce n'est donc pas avant que je devienne moi-même handicapé que j'ai commencé à l'être. J'ai ensuite déménagé à New York pour recommencer à danser, puis à Londres, et j'ai dansé avec la CandoCo dance company qui était une compagnie de danse contemporaine de premier plan pour les danseurs handicapés et non handicapés au Royaume-Uni.

Lorsque j'ai commencé à rencontrer d'autres artistes et d'autres personnes handicapées, cela m'a permis de m'approprier mon identité de personne handicapée et m'a fait comprendre que j'avais la responsabilité, en tant que personne handicapée, de partager, de montrer et d'apporter des changements à la prochaine génération de personnes handicapées. Aujourd'hui, lorsque je travaille, je sais que le fait d'être sur scène, d'avoir un handicap, fait une déclaration, mais mon travail n'est pas nécessairement politique. Mais il remet en question les perceptions des gens parce que traditionnellement, les gens n'étaient pas habitués à voir des personnes handicapées sur scène. Mais pour moi, c'est tellement plus enrichissant et cela donne plus de représentations du monde dans lequel nous vivons plutôt que de l'ignorer. Et les personnes handicapées apportent une perspective unique aux arts, au monde. Alors plutôt que de les cacher, nous devrions les encourager et les soutenir, et donner plus d'opportunités aux artistes handicapés d'être sur ces grandes scènes. En ce qui me concerne, je ressens vraiment cette responsabilité et je suis très fière de plaider pour tous les artistes handicapés, afin qu'ils poursuivent leur carrière dans les arts. Lorsque j'ai déclaré mon handicap pour la première fois, il n'y avait pas vraiment de modèles ou de personnes qui auraient pu dire : "Oh ! Cette personne a réussi sa carrière de chorégraphe et de danseur, et elle est handicapée ! Je veux dire, qui est-ce ? Où sont ces personnes ?" J'ai donc le sentiment d'avoir un rôle à jouer et une responsabilité à assumer en partageant mon travail et en défendant les artistes et les personnes handicapées.

7.           An Accident / A life offre une perspective unique en intégrant le handicap dans l'art de la danse. Comment cela peut-il contribuer à redéfinir la définition traditionnelle de la danse et à sensibiliser le public à la diversité des corps ?

Nous venons de présenter la première mondiale de cette pièce au Holland Dance Festival. Nous sommes sur le point d'organiser nos prochaines dates ici à Glasgow. Je suis donc intéressée par les réactions du public, mais le travail est basé sur mon physique et sur le fait que je suis handicapée. Cela fait partie intégrante du travail. Mais aussi, pour montrer et défier comment nous pouvons faire du travail et comment le travail est créé et comment nous pouvons aussi défier nos publics. C'est une production étonnante qui est de haute qualité, avec de grandes valeurs de production, et traditionnellement vous n'auriez pas vu un travail comme ça de la part d'artistes handicapés. Je pense donc que Larbi, qui dirige en quelque sorte le travail, a eu cette vision extraordinaire d'explorer tout le potentiel de la représentation de ce travail sur scène. Car à l'origine, nous pensions, surtout à cause de COVID, que ce serait un film. Faisons un film ! ". C'est vraiment cinématographique, c'est très visuel, il y a des écrans sur scène, comme une caméra vidéo qui me suit toujours. Mais nous avons d'abord opté pour la version scénique et c'est vraiment incroyable de voir comment chaque scène s'est développée et a évolué d'une scène à l'autre. Ce qui est intéressant dans ce travail, c'est que je ne suis pas du tout dans mon fauteuil roulant jusqu'à la fin, et c'est seulement pour une partie d'une petite scène. Donc, si quelqu'un ne savait pas qui je suis, si quelqu'un ne connaissait pas mon histoire, je ne sais pas s'il saurait nécessairement que je suis handicapée ou non. Ce n'est pas que je le cache !  Je me déplace sur la scène, je commence par le sol, je bouge et je danse sur le sol, puis je me déplace dans la voiture, je me déplace autour de la voiture. Il s'agit donc vraiment d'utiliser mon corps et mon physique, avec les handicaps qui y sont intégrés, mais il ne s'agit pas seulement du handicap.

8.           En partageant une histoire aussi personnelle, quel impact espérez-vous avoir sur le public ?

 

Lors de la première, j'ai parlé aux spectateurs après coup et ce n'est certainement pas une de ces pièces où l'on se dit : "Est-ce que vous avez apprécié ?"Vous avez aimé ? C'était génial ? C'est pourquoi, jusqu'à présent, je demande : "Comment avez-vous vécu cette œuvre ? Je pense donc que je veux qu'ils vivent une expérience. Je pense que les spectateurs sont liés à l'œuvre, directement ou indirectement, et qu'ils participent à la narration de l'histoire. Et en raison de la beauté du visuel, de tous les éléments, de toutes les conceptions des costumes, du décor, de la musique, tout cela devient très cinématographique et on se sent vraiment immergé dans l'œuvre. Larbi me dit toujours : "Marc, tu n'as pas besoin de jouer. Ne joue pas dans cette pièce. Tu as juste besoin d'être toi-même. Parce que ton histoire est suffisamment forte et que tu la racontes sans aucune émotion ou qualité de performance supplémentaire pour toucher les gens". Je pense que cette œuvre est capable de montrer la résilience, le pouvoir du corps humain et de l'esprit humain pour aller de l'avant et aussi pour partager le fait que, oui, il s'agit d'un accident, mais le sujet est aussi la vie que vous vivez et le fait de tirer le meilleur parti de votre vie. Et les gens ont dit que le travail est puissant, qu'il est très émotif, qu'il résonne avec les gens, qu'ils continuent à y penser après coup, qu'il reste avec eux. Je pense que c'est ce qui compte le plus pour moi.

Enfin, j'espère que ce travail changera la perception des gens sur la danse et le handicap, sur ce que les artistes handicapés peuvent faire et apporter à las cène, et sur la puissance, l'importance et l'unicité de ces voix, qui méritent d'être entendues et vues sur scène.

 

 

9.           Que voulez vous transmettre aux publics avec AN ACCIDENT / A LIFE ? Avez-vous des consignes à donner avant qu’ils n’entrent dans la salle ?

Je souhaite que les publics viennent avec un esprit ouvert, de l’intérêt et avec la curiosité de vouloir connaître mon histoire. J’espère de tout cœur que cette histoire résonnera en elles et eux.

 

 Interview réalisée par Lou-Ann Nançoz pour Le Théâtre Les Halles.

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